YVES JANVIER

Autoportrait peint par Yves Janvier

J’ai rencontré Yves Janvier à la fin des années 80.

Il travaillait comme animateur dans un centre de rééducation professionnelle à Sablé-sur-Sarthe, dans lequel j’avais donné un spectacle.

Dès mon arrivée dans le centre, le personnage était campé.

Corpulent, chemise à carreaux, jeans, et surtout un énorme Stetson qui recouvrait en permanence un visage barbu et joufflu. 

Evidemment, le personnage chaussait des santiags… Il ne manquait plus que les pistolets à la ceinture.

Alors que j’avais installé mon matériel de musique dans la salle de spectacle, il s’était emparé de ma guitare pour jouer quelques accords. J’ai compris que ses talents ne s’arrêtaient pas à l’animation simple de jeux collectifs dans un centre de rééducation. 

Il en avait bien d’autres, des talents, en particulier celui de peintre-illustrateur.

Le lendemain du spectacle, comme je bénéficiais d’un jour de pause dans ma tournée, il m’avait invité à le passer dans sa ferme à Auvers Le Hamon. 

C’est dans cette ferme que je pus apprécier ce personnage hors du commun, qui consacrait entièrement sa vie au rêve de gamin qui l’avait animé durant toute sa jeunesse. 

Partout, dans cette maison nichée au cœur de la campagne sarthoise, s’affichaient les fusils à poudre noire, (modèle Springfield), les carquois indiens, les coiffes à plume, et une multitude de tableaux, fruits de son talent de peintre, qui recouvraient les murs.

Alors que je lui déclarais que je découvrais en lui un véritable cowboy, il me répondit offusqué, qu’il n’était pas un garçon vacher.

– » Je suis un westerner, pas un cowboy! »

Au fil des heures, je découvrais un personnage hors du commun, truculent, généreux, et passionné.

Avec ses 120 kg pour une taille assez modeste, sa rondeur imposait.

Il baignait 24 heures sur 24 dans son univers fantasmagorique, entre le général Custer, Buffalo Bill et les tribus indiennes. 

Il en avait fait un mode de vie.

Mais Yves janvier partageait son rêve. Avec altruisme..

Ainsi,  à titre totalement bénévole, il s’occupait des gamins adolescents en situation difficile, qui naviguaient entre la délinquance et les petites rapines. 

Il les recevait chez lui, dans la ferme, et il s’en occupait. 

Il leur trouvait de quoi s’habiller à la mode de l’Ouest américain, leur apprenait à monter à cheval, et organiser des séances de tir à la poudre noire.

Si les fusils modèles Springfield sont effectivement relativement antiques, leur puissance est phénoménale.

On chargeait la poudre, la bourre, pour placer la balle métallique fond du canon.

Les tireurs devaient s’installer derrière une planche en bois, et je remarquais le respect de toutes les consignes de sécurité. 

La cible était une vieille poêle métallique placée à plusieurs dizaines de mètres.

Les détonations étaient extrêmement bruyantes, et le résultat sur la poêle était édifiant.

Après la séance, à la tombée de la nuit, les saucisses crépitaient sur les barbecues, tandis qu’Yves janvier chantait des folk songs américains en s’accompagnant avec la guitare.

On y était!

Au fur et à mesure des années, sa notoriété avait débordé sur l’ensemble du territoire de Sablé-sur-Sarthe. 

Le maire de l’époque (Joël Le Theule) s’en était ému, car la dimension sociale de ce type d’animation entièrement bénévole canalisait une jeunesse locale qui parfois se cherchait.

C’est ainsi que celui-ci proposa un jour à Yves janvier d’organiser une attaque de diligence dans les rues de la ville pour créer une animation.

Yves était enchanté par cette idée, le challenge était fort.

Lorsque le maire lui demande à quel type de tarif  il devait s’attendre, Yves, qui n’était pourtant pas très argenté , lui répondit:

-On ne monnaye pas ses rêves. Ce sera gratuit.

Il se démena pendant des semaines pour mettre à contribution tous les jeunes dont il s’occupait, pour les transformer en cowboys, en indiens, cochers de diligence.

Il récupérera une charrette qu’il transforma, fit répéter les gars dans la campagne environnante, et le jour venu, toute la troupe se dirigea vers Sablé-sur-Sarthe.

Ce fut épique, dantesque, grandiose.

La foule était massée sur le bord des rues, et attendait le passage de la cavalcade.

Après une bonne heure d’attente, la diligence déboula dans l’artère centrale, et aussitôt, une armée d’indiens, avec leur coiffe de plumes et leur Tomahawks entouraient celle-ci, en hurlant et vociférant. 

Aussitôt les fusils crépitèrent, dans les mains des westerners qui escortaient la diligence. À cet instant, toute la ville avait changé d’environnement pour celui de Buffalo Bill. Ça sentait la poudre à plein nez. Les enfants hésitaient entre la peur et l’émerveillement.

Cette attaque de diligence est restée longtemps dans la mémoire des sablais.

Le maire insista à nouveau pour rétribuer la troupe, mais essuya le même refus. Il fit alors fabriquer par les services municipaux des accessoires destinés à cette passion, comme des cornes de vache évidées servant de boîte à poudre noire, des harnachements pour les chevaux et autres fournitures.

Ce refus de tout compromis financier était à l’honneur d’ Yves janvier, car celui-ci était souvent très limité au niveau de ses ressources.

Le montant de ses économies était inversement proportionnel à sa générosité, ce qui parfois posait des problèmes de fin de mois.

Au fil des années, je le revis assez souvent pour jouer mon spectacle au Centre de Rééducation. 

À chaque fois, je retrouvais Yves janvier, qui était devenu mon ami. 

Yves janvier, westerner de Sablé-sur-Sarthe

Un jour, au bénéfice d’une association, nous avions joué en commun tout un spectacle dans un village voisin, à Poillé-sur-Vègre… et puis les années passèrent. 

Sa santé déclinait. 

Quelques faux amis profitèrent de sa gentillesse pour l’escroquer, ce qui n’arrangeait pas ses affaires.

Assez souvent, il devait se faire hospitaliser.

Sa fille, dont j’ai aujourd’hui oublié le nom, s’occupait beaucoup de lui. Il y avait entre eux deux, une connivence fréquente entre les pères et les filles. Un jour, celle-ci prit sa voiture pour aller lui rendre visite à l’hôpital.

L’accident fut brutal, définitif, mortel.

Yves fut effondré. 

Il ne s’en remit jamais. 

Miné par le chagrin, endurant un diabète difficile, il se laissa aller doucement, de déclin en abattement, d’interventions chirurgicales en séjours multiples à l’hôpital, jusqu’à l’amputation de sa jambe. Il se laissait partir.

Il mourut le 1er janvier 2011, dernier clin d’œil pour quelqu’un qui s’appelait Yves Janvier.

Il avait ainsi rejoint les grandes prairies parsemées de bisons et de tipis, dans le sillage des diligences.

Pour ne pas l’oublier, j’avais composé cette chanson de son vivant, qu’il avait pu entendre…

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