Du Bassin houiller lorrain…à Louis Arti.

Nous étions en septembre 1966, et j’avais plongé depuis quelques jours, dans un univers totalement nouveau pour moi, avec mes 11 ans.  

Lycée Jean Moulin de Forbach

J’étais interne au lycée Jean Moulin de Forbach, avec le numéro matricule 115, premier dortoir, 3e box.  

J’avais quitté ma famille. J’avais traversé la frontière en laissant l’Allemagne derrière moi, pour retrouver la France, dans le pays minier de Lorraine. 

L’atmosphère n’était pas la même.  

Le premier choc avait été provoqué par l’ouverture des fenêtres, le premier matin de réveil dans le dortoir. Une très forte odeur d’œuf pourri avait envahi le box, et les anciens qui le partageaient avec moi m’intimèrent aussitôt de refermer l’ouverture vitrée. 

Et pour cause !

J’appris très vite que lorsque les vents provenaient du Sud-Ouest, nous étions gratifiés des émanations des cokeries et des usines pétrochimiques de Carling, Marienau et Freyming Merlebach.

Durant les 7 ans qui me restaient à passer dans cet internat, il faudrait gérer les vents…

Le mois de septembre se terminait il faisait encore très bon.  Je commençais à prendre mes marques dans mon nouvel univers. 

Un matin ensoleillé, je montai l’étage qui me menait au cours d’histoire de Madame Hamel.

Quelques secondes après que nous soyons entrés dans la salle de classe, le brouhaha de la mise en place s’était subitement calmé.  Dans cette période qui précédait de deux ans les événements de 1968, la discipline était stricte et on respectait craintivement les professeurs. La voix de l’enseignante planait au-dessus de nos têtes, nous transcrivions ses enseignements sur nos cahiers, dans un silence feutré.

En particulier, madame Hamel, qui faisait montre d’une autorité sans faille…

Cette dernière déclamait son cours d’histoire.  Ce jour-là, nous évoquions les Étrusques, dont la civilisation avait précédé celle des Romains. 

L’atmosphère était studieuse, on entendait le crissement des porte-plumes qui soulignait l’énoncé du cours de madame Hamel. De temps à autre, un élève jetait un regard par la fenêtre en suçotant son stylo…

Une demi-heure environ à près avoir entamé le cours, un cri strident, glacial, jaillit du côté de la classe.

  • LA ROUE !!!

Je tournais alors ma tête vers la fenêtre, devant laquelle se tenait l’auteur du cri, qui regardait à l’extérieur.

Un silence glacial régnait dans la salle de classe, et j’étais stupéfait de constater que Madame Hamel ne réagissait absolument pas à ce cri très fort.

Celle-ci, comme les autres élèves, scrutait le paysage derrière la fenêtre.

À mon tour, je tournai ma tête vers la fenêtre pour comprendre ce qui pouvait être la cause de ce cri violent et de ce silence lourd qui l’avait suivi.


 Au loin, on pouvait apercevoir la roue du puits Simon . La roue qui surplombait l’édifice en métal était complètement à l’arrêt.

Immobile.

Auparavant, lorsque je jetais un regard en direction de celle-ci, elle tournait régulièrement. J’en concluais que son arrêt devait être très grave

D’ailleurs, Madame Hamel ne pipait pas un mot, en regardant elle aussi en direction de la roue. Le silence était pesant. Une à deux interminables minutes passèrent.

Puis, soudain, lentement mais sûrement, sa rotation repris.

J’entendis un ouf de soulagement général auprès de mes camarades, Madame Hamel retourna à son bureau, elle reprit son cours là où elle s’était arrêtée.

J’étais abasourdi.

Que pouvait motiver une telle frayeur, une telle panique ?

Je le compris plus tard pendant la récréation. Mes camarades de classe m’expliquèrent alors que cette roue conditionnait la ventilation du fond de la mine.

Or la plupart d’entre eux avaient un père qui travaillait dans ce même puits. L’arrêt de la roue pouvait impliquer la mise en péril de leur vie. Je compris que celle-ci était essentielle pour la survie des familles du bassin houiller.

Le Puits Simon, aujourd’hui…

Moi, issu d’un milieu dont les pères étaient officiers ou sous-officiers, dans l’environnement clos et préservé d’une garnison française en Allemagne, je découvrais la réalité du nouvel univers dans lequel j’allais vivre pendant 8 ans.

Doucement, ce monde m’avait intégré, et je ressens toujours aujourd’hui le lien fort, que je maintiens au fil des ans. Si je dois retenir des mots clés pour définir tous ces gens qui venaient d’Italie, de Pologne, ou encore du Maghreb, ce sont solidarité, entraide, lutte.

Ces mots sont restés les valeurs qui m’ont accompagné jusqu’à ce jour. Même après avoir quitté cette région à l’âge de 18 ans, je m’en considère toujours comme originaire.

Elle a été pour moi le creuset dans lequel j’ai forgé ma personnalité, mes convictions, mon projet de vie.

C’est ainsi qu’au fil de ma scolarité dans l’internat du lycée Jean Moulin, j’ai gratté mes premiers accords de guitare, couché mes premiers poèmes, pour que tout cela devienne un jour chansons.

Ainsi, je côtoyais d’autres artistes en herbe, comme Carolus Schmitzberger, Christian Gaudioso, Christian Metzinger, Gérard Lyons, Mario Camiolo et d’autres encore, souvent réunis par le club « Poe-Pro » initié par notre professeur de français, Roger Bichelberger, lui-même écrivain reconnu.

Certains restèrent des amateurs talentueux, je choisissais pour ma part l’engagement total par le métier, à l’instar de l’oncle de Christian Gaudioso : Louis Arti.

C’est parce que Louis Arti représentait l’archétype du lorrain immigré qu’il « accoucha » des plus belles chansons exaltant la peine, et les joies du bassin houiller.

Lui-même, issu d’une famille pauvre d’origine italienne avait dû fuir L’Algérie en 1962. Il quittait son village, El Halia, rare rescapé d’un massacre terrible qui avait décimé 140 personnes dans des conditions atroces, le 20 aout 1955. Sa mère avait été blessée au bras, son père avait été tué.

Arrivé en France, il avait passé sa jeunesse à Créhange, puis avait travaillé au fond du puits pendant quelques années. Lui qui avait très peu fréquenté l’école, découvrait Rimbaud, Baudelaire, ou encore Verlaine. Sa vie bascula ailleurs…

Il écrivit des chansons, se produisit sur scène. Un jour, en faisant la première partie de Léo Ferré, ce dernier téléphona à Eddy Barclay pour vanter son immense talent.

Le climat du bassin houiller lorrain de cette époque est évoqué avec émotion, tendresse, dans un chant rude et écorché, parfois tendre, dans une de ses plus belles chansons qui m’émeut profondément à chaque écoute,  » Lothringen « , ce qui veut dire  » Lorraine  » en Platt, le patois mosellan.(très proche de l’allemand).

 » Entre Forbach, Stiring, Behren, / là-bas au bout de la Lorraine/ tout contre les reins de l’Allemagne « …

Après avoir situé géographiquement le bassin houiller, la chanson évoque avec tendresse un univers qui a totalement disparu avec la dégradation qui a suivi l’arrêt des puits de mines dans les années quatre-vingt.

Louis Arti, découvert par Léo Ferré, encensé par Jean-Louis Foulquier, avait enregistré son 33 tours avec Jannick Top (Bassiste de Magma, arrangeur bassiste de France Gall) aux arrangements.

Disque sublime…

Durant sa période de promo, j’avais eu l’occasion de le rencontrer dans l’île de Ré où j’habite, car il était allé tourner un clip sur la plage de la conche.

Mais alors qu’il allait entrer dans la gloire, comme un Bernard Moitessier qui renonca à la victoire avant la ligne d’arrivée, il s’en fut garder les moutons en Écosse… Pour aller sauver son âme?

Puis il reprit son bâton de pèlerin, ou plutôt son manche de guitare, pour aborder des scènes simples, avec un public proche, même si parfois clairsemé. Théâtre, peinture, compléter également cet artiste multifacettes.

Un vrai, un grand, un authentique Artiste.

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