Nous longeons un bras du Rio Napo, et nous entendons les cris de gamins qui s’ébattent dans la rivière. Je m’approche à travers le feuillage et aperçois les enfants qui s’ébattent dans l’eau opaque, et qui se laissent glisser le long des lianes qui tombent.
J’ai trop chaud…
Je me dirige vers eux, me déshabille et me jette à l’eau. Elle est chaude, un vrai bouillon de culture. En quelques brasses, je rejoins le petit groupe qui me mêle à leur jeu en m’éclaboussant. Ensemble, nous pratiquons un des plus vieux jeux du monde, s’éclabousser en s’ébrouant dans l’eau…
Et ça marchait!
30 octobre 1994 Amazonie équatorienne:
(…) Nous nous dirigeons prendre un repas dans le séjour, avec Eduardo, le maître des lieux. A la fin du repas, celui-ci sort sa bouteille d’aguardiente, et commence à remplir les verres en sortant sa guitare. Le fleuve coule doucement… La nuit tombe. Soudain, au crépuscule, un silence de mort s’installe durant une dizaine de minutes. Plus un son. Puis, après ce court laps de temps, un vacarme gigantesque emplit la forêt et nos oreilles. Crapauds buffles, singes, haras et insectes entonnent une symphonie cacophonique en ut mineur, qui m’emplit d’une sorte d’angoisse. Perdus au coeur de la forêt, nos ressentons enfin la futilité de notre protection, dans cette bâtisse humaine plantée au coeur d’un monde animal et végétal, qui nous fait une démonstration de force.
Que de monde habite ici, pour faire un tel tintamarre! Je reste fasciné, les yeux rivés sur les derniers reflets du fleuve, à m’emplir de cette force sauvage qui m’entoure. Daniel est bien, heureux. Daniel aime l’Amazonie. Daniel aime la chaleur moite, la verdure délirante, la lascivité des femmes d’ici, comme cette fille sur les bords du Rio qui surveillait ses frères. Daniel boit l’aguardiente que lui tend Eduardo. Celui-ci chante avec une voix chaude des chansons romantiques, et sa voix vibre à couvrir les cris de la Forêt, îlot d’humanité dans un univers sans pitié.
Les gosiers se délient, l’alcool nous chauffe et nous fait rêver, en écoutant Eduardo.(…) Eduardo est un poète. Je comprends peu à peu qu’il a laissé une femme et un enfant, là-bas, à Quito. Mais pour quelle raison obscure a t-il choisi de vivre ici, perdu comme gardien d’un hôtel fréquenté par quelques rares touristes?
Est-ce l’aguardiente qui le rend si romantique, ce soir, accroché aux cordes de l’instrument qui sublime son chant?
Daniel et Jean ont les yeux mouillés, je ne vaux pas mieux. Dehors, la forêt pousse des milliers de cris stridents qui nous rappellent combien nous sommes à sa merci, si petits et loin de tout…